Sonia Rolland ambassadrice Guerlain? Et si l’on faisait taire les grincheux !

Sonia Rolland vient d’être nommée ambassadrice de la marque Guerlain. Au milieu des félicitations, elle a reçu de nombreuses critiques sur les réseaux, des internautes l’accusant d’être une traître à sa « race » et de collaborer avec une marque liée à « l’affaire Guerlain. »

En ce qui me concerne, je trouve ça très bien que Sonia Rolland représentent les produits de beauté et les parfums Guerlain. Je le dis d’autant plus librement que c’est moi qui suis à l’origine des manifestations contre Jean-Paul Guerlain en 2010!

Hé oui, comme vous j’étais en colère après avoir entendu les propos abominables que ce monsieur s’est permis de prononcer sur les Noirs au journal télévisé.

Comme vous, j’ai été choquée qu’Elise Lucet, qui l’interviewait, continue son émission comme si de rien n’était.

Comme vous, je n’ai pas compris que la Maison Guerlain ne réagisse pas immédiatement et laisse passer trois jours avant de publier un communiqué.

Parce que j’en avais assez que dans ce pays on puisse tenir publiquement des propos racistes en toute impunité, et parce que poster des messages sur Facebook ou Instagram, c’est bien, mais agir c’est encore mieux, j’ai appelé à manifester devant le magasin Guerlain des Champs Elysees. Vous vous en souvenez ? Vous étiez très nombreux à être présents. 

J’avais lancé mon appel en tant que simple citoyenne. Très vite, cette action est devenue collective, avec notamment l’implication du Collectif Anti Négrophobie, des Indivisibles ou de l’association OEUA qui a été très active. Ensemble nous avons formé un collectif.

Ce que nous demandions, c’était un geste fort de la marque. Pas simplement qu’elle condamne les propos de Jean-Paul Guerlain, mais qu’elle rompe publiquement tout lien avec lui. JPG, c’est vrai, n’était plus salarié de Guerlain. Mais il avait encore un statut de consultant. Surtout, ses propos sur les “nègres” qui ne travaillent pas, il les avait tenus alors qu’il faisait la promotion d’un livre sur sa carrière de parfumeur au sein de la maison Guerlain.

Je la fais courte. Si vous voulez avoir plus de détails sur tout ça, regardez mon film, Trop Noire pour être française. Ou lisez le livre du même titre. J’y consacre un chapitre entier.

Les négociations avec LVMH (à qui appartient la maison Guerlain) ont été longues, parfois âpres, mais jamais, à aucun moment, qu’il s’agisse des dirigeants de Guerlain ou de LVMH, je n’ai eu le sentiment d’avoir à faire à des personnes racistes. Au contraire, nous avons plutôt rencontré de la compréhension chez Guerlain. Simplement, nous avions deux façons très différentes d’envisager l’incident qui venait de se produire.

J’ai remarqué, et c’est d’ailleurs souvent le problème quand on parle de racisme, que les personnes qui ne le subissent pas ont tendance à en faire une affaire morale et individuelle. Les personnes “racisées”, pour reprendre un terme à la mode, savent que c’est un problème structurel. On peut ne pas être raciste et produire malgré soi de la discrimination ou de l’exclusion. 

Les gens chez Guerlain étaient blessés parce qu’ils avaient l’impression d’être désignés, en tant que personnes, comme complices des propos d’un homme qui ne travaillait même plus chez eux.

Nous nous intéressions aux effets de structure. Pourquoi l’affaire avait-elle été si mal gérée ? Comment se faisait-il que le groupe n’ait pas pris la pleine mesure de ce qui se venait de se produire et se soit contenté d’un simple communiqué, qui plus est tardif ?

Notre position – et en ce qui me concerne elle n’a pas changée – était que, chaque fois qu’un acte raciste a lieu, il doit être condamné de manière exemplaire et définitive, sinon on laisse planer l’idée que ça reste tolérable.

Nous avons donc demandé à Guerlain et à LVMH de s’impliquer sur un certain nombre d’actions à l’égard de la communauté noire. Ce qu’ils ont fait. Là aussi je la fais courte, mais parmi ces programmes, il y en a un que nous avions monté en concertation avec le service pédiatrique dédié à la drépanocytose de l’hôpital Robert Debré. Vous le savez certainement, la drépanoctyose est une maladie génétique qui affecte les populations du Sud. En France, elle touche essentiellement les personnes noires. C’est une maladie extrêmement douloureuse, très handicapante. Imaginez quand elle atteint des enfants… Pourtant, la recherche et les soins liés à la drépanocytose sont sous-financés en France.
Cela fait huit ans maintenant que Guerlain et LVMH soutiennent l’unité de référence de la drépanocytose de l’hôpital Robert Debré, situé dans le 93, à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’Euros par an. Nous ne leur avions demandé qu’un engagement d’un an. Ils n’étaient pas obligés de poursuivre. Ils le font.
Lors du premier diner de gala dédié à cette cause, LVMH a projeté un petit film sur la maladie. Très clairement, et cela a été assumé ensuite par le directeur des relations sociales du groupe dans son discours, il a été dit que si cette maladie est insuffisamment prise en compte, c’est parce qu’elle touche en priorité des Noirs, qui plus est souvent issus des classes populaires.

Dans un pays, où l’on préfère tourner sa langue vingt fois dans sa bouche plutôt que de nommer les choses lorsqu’il s’agit de discriminations raciales, c’était une prise de position courageuse.

En 2011, Guerlain n’avait pas de gamme qui inclue les peaux noires et métissées, et n’envisageait pas non plus d’avoir une égérie noire. Aujourd’hui la marque a évolué sur ces deux points. On ne peut que s’en réjouir. Moi, personnellement, je suis heureuse de tout ce qui va vers plus d’inclusivité.

La colère parfois est nécessaire. Elle est juste. A condition de déboucher sur quelque chose de constructif. Oui, il y a eu l’affaire Guerlain, et fort heureusement Jean-Paul Guerlain a été condamné par la justice. Une fois les failles repérées et réparées, va-t-on continuer sans cesse de ressasser des griefs qui n’ont plus lieu d’être ?

Je connais Sonia Rolland depuis dix ans. En plus d’être une très belle femme, c’est une belle personne, courageuse, intègre, ouverte aux autres, qui est toujours restée en lien avec ses origines africaines. Je ne doute pas qu’elle saura relever avec talent le défi qui l’attend.

Nous sommes les premiers (les premières !) à applaudir l’excellence noire quand elle vient des Etats-Unis et a pour nom Lupita Nyongo, Zoé Kravitz ou Rihanna, toutes égéries de grandes marques françaises. Pour une fois qu’une marque de luxe française choisit pour ambassadrice une femme noire de France, réjouissons-nous au lieu de critiquer. C’est un début. Il est important. Il ouvrira la voie, je l’espère, à une meilleure représentativité des femmes au teint plus sombre, ainsi que des femmes asiatiques et d’origine maghrébines, ces dernières étant les grandes absentes de l’industrie de la beauté hexagonale.